Biographie Rock&Folk (1983)

Rédigé par Rock critique / 30 juin 1983 / Aucun commentaire

Jean-Sylvain CABOT livre ici une biographie très détaillée de Van Morrison. Bien sûr, elle s’arrête en 1983. Mais, elle n’en demeure pas moins très intéressante car c’est une des rares biographies de Van parue dans la presse française. JS CABOT a collaboré pendant de nombreuses années à Rock&Folk. Excellent journaliste à tendance encyclopédique, il se signalait aussi par un éclectisme de bon goût qui lui permettait de passer sans problèmes du Hard-rock à la soul music. Son article, au contraire de l’extrait du livre de Gorin, fourmille de détails historiques qui satisferont tous les amateurs français de Van.

La récente tournée anglaise de Van Morrison a remporté un succès triomphal. En France. pourtant, seuls trois disques de sa glorieuse période Warner restant disponibles au catalogue WEA : “Van Morrison” “His Band And The Street choir”. et “Tupelo Honey” dans la collection “Two Originals 0f..” et l’album live “lt’s Too Late To Stop Now”. Ce qui veut dire qu’il faudra désormais se démener un peu pour retrouver les chefs-d’oeuvre d’un des plus grands chanteurs et compositeurs de la pop-music.

George Ivan Morrison est né le 31 août 1945 à Belfast, la grande ville industrielle d’irlande du Nord. Son enfance semble le destiner très vite à la musique. En effet, sa mère est une ancienne chanteuse de jazz et son père, ouvrier sur les chantiers navals, est un fervent collectionneur de disques de blues et de jazz. Morrison grandit donc au milieu des disques de Leadbelly. Ray Charles, John Lee Hooker, Woody Guthrie et des maîtres du country tels Jimmie Rodgers et Hank Williams. A onze ans il joue déjà avec un groupe de skiffle, puis dans quelques groupes de jazz. A treize ans, il sait jouer de la guitare, de l’harmonica et du saxophone. En 60, il quitte l’école pour devenir musicien professionnel. Il joue du country & western dans un groupe du nom de Deanie Sands & The Javelins, puis rejoint un groupe local de R & B, The Monarchs. Les Monarchs tournent en Angleterre et en Allemagne, dans des villes comme Francfort et Cologne.

De retour à Belfast, Morrison forme Them avec deux anciens Monarchs et deux amis. Dès le début, le personnel est pour le moins flottant et change continuellement. Seul Alan Henderson, le bassiste, demeure le pilier inamovible de la formation. Mais sur la composition du groupe originel, les sources sont contradictoires. Nous avons d’un côté la formation suivante : Billy Harrison (guitare), Alan Henderson, Ronnie Miilings (batterie) et Eric Wiksen (piano). Ou bien encore, outre Henderson, Jim Armstrong (guitare), Ray Elliott (orgue) et David Harvey (batte-rie). En fait, la formation la plus stable et la plus connue de Them est celle qui regroupe, Billy Harrison et Alan Henderson, ainsi que Jackie McAuley (orgue) et Patrick McAuley (batterie). En fait, tout au long de leur brève carrière, Them restera ce groupe dont Morrison parla en cas termes: « Them, c’était surtout moi, quelques-uns du groupe et quiconque se trouvait là ». En 63-64, Them fait les beaux jours du Old Sailor’s Maritime Dance Hall à Belfast. C’est la vraie époque de Them, comme aime à le rappeler Morrison. Le groupe n’a encore rien enregistré et casse la baraque tous les soirs à grands coups de R & B chaleureux. Leur réputation locale est telle qu’un directeur artistique vient les voir et les fait signer chez Decca. Un premier single sort en septembre 64. le cinglant “Don’t Start Crying Now », un blues (surgénéré) de Slim Harpo. Le titre ne marche qu’en Irlande. A l’automne le groupe vient à Londres, mais sans Jackie McAuley resté à Belfast. Ce premier contact avec la grande métropole anglaise est un échec. Tout se passera mieux en novembre. Le second single, “Baby Please Don’t Go” (blues de Big Joe Williams), vient de sortir, bénéficie de quelques passages radio et devient même un indicatif pour l’émission de TV “Ready Steady Go » … Le titre atteint la dixième place des charts en janvier 65. La face B n’est autre que « Gloria » (signé Morrison), éternel pilier de juke-box et classique absolu du rock. Gloria reste le titre le plus célèbre de Them et pourtant ce ne fut jamais un hit — mais la popularité du morceau est telle que c’est tout comme. En 66, « Gloria »ressortit couplé avec “Friday’s Child “(destiné au seul marché américain, semble-t-il).

Pour le moment, nous sommes toujours en janvier et Decca sort un E.P. comprenant «Don’t Start Crying Now », « Philosophy », «One Two Brown Eyes » et « Baby Please Dont Go.. Au grand dam de ses fans irlandais, le groupe vient travailler à Londres et rencontre le producteur américain Bert Bems, Nous reviendrons sur Berns un peu plus tard. Pour l’instant, celui-ci prend les affaires de Them en main et leur fait enregistrer une de ses propres compositions. Il s’agit de “Here Comes the Night » , qui se classe numéro deux en avril derrière le «Ticket To Ride » des Beatles. C’est le hit ! Le premier et le dernier, pour tout dire. Le groupe part en tournée dans tout le pays. Au fil des mois, Morrison aligne une suite de singles ; «One More Time » (juin). “It Won’t Hurt Half As Much” (août), “Mystic Eyes” (novembre) qui, curieusement, connaissent peu de succès et ne se classent même pas dans les charts. Depuis l’été les frères McAuley sont rentrés à Belfast. remplacés par Peter Bardens (ex-Cheynes et futur Camel) et Ronnie Millings. En fait, pour l’enregistrement de son premier album, le groupe est renforcé, sinon quasiment remplacé, par des musiciens de studio dont Jimmy Page évidemment: ce dernier jouerait en effet sur les célè-bres «Gloria », « Baby Please Don’t Go » et « Here Comes TheNight » et raconte combien ces séances avec Them furent parmi les plus embarrassantes de sa carrière. En effet, l’atmosphère est tendue. Morrison n’apprécie pas plus ces méthodes que l’attitude de Decca voulant imposer au groupe une image de rebelles et de «délinquants », comme c’est alors la vogue à l’époque (voir Stones). Tout ceci rendra désormais Morrison extrêmement méfiant et critique à l’égard du “bizness ».

L’album «Angry Young Them » sort en juin et fait connaître le groupe en Europe et aux Etats-Unis. On y trouve quelques singles (« Gloria », « Mystic Eyes », « If You And I Could Be As Two ,. des chansons nouvelles et des stan-dards tels « Bright Lights Big City » ou « Route 66 ». C’est le disque typique du rock anglais de l’époque. du British R & B à la Stones, Animals et Pretty Things. Le chant de Morrison est dur, haché, hargneux, et Them peut être considéré comme un des meilleurs groupes du moment. Le second album, «Them Again », sort en février 66. Seize titres, cinq chansons signées Morrison et un maximum de reprises dont «I Put A SpelI On You » (Screaming Jay Haw-kins), «I Got A Woman »(Ray Charles) et le « lt’s AIl Over Now Baby Blue » de Bob Dylan. Notons aussi ce « I Can Only Give You Everything” qui sera repris par les Troggs. En mai sort le single «Richard Cory », une chanson de Paul Simon, et Them s’embarque pour l‘Amérique. Durant trois semaines, ils sont à l’affiche du Whiskey-A-Go-Go (Los Angeles) avec les Doors et. Captain Beefheart. Mais la tournée se révèle désastreuse, Morrison dissout le groupe et rentre en Irlande. Alan Henderson recrute un chanteur, Keith McDowell et des musiciens (David Harvey et Jim Armstrong). garde le nom du groupe et continue de tourner aux Etats-Unis, mais sans plus de succès. Them seconde formule va enregistrer cinq albums de peu d’intérêt (« Now &Them », «Time Out », «Time In For Them » pour la marque Tower. «Them » et « Them in Reality » pour Happy Tiger) avant de se séparer une bonne fois pour toutes. De leur côté, sous le nom de Belfast Gypsies, les frères McAuley (avec Mark Scott et Ken McLeod) vont également tenter de perpétuer la tradition Them et enregistrer an 66 un single « Gloria’s Dream» / « Secret Police » écrit et produit, par Kim Fowley. En 67, le label anglais Major Minor éditera un single du Them original datant de 64, le fameux « Story 0f Them » qui raconte les débuts du groupe à Balfast. Them a fait, l’objet de nombreuses compilations. Une des plus intéressantes est parue dans la série Rock Roots (Decca 76) et contient, outre « Story 0f Them » et des singles (« l’m .Gonna Dress In Black »), plusieurs inédits comme «Stormy Monday », «Baby What You Want Me To Do » ou encore « Mighty like A Rose » et «Times Getting Tougher Than tough ».

Mais revenons à Morrison. qui à son retour d’Amérique s’installe chez ses parents à Belfast, passablement déprimé. C’est là qu’il reçoit un billet d’avion de la part de Bert Berns, qui l’invite à New York. Bems a su déceler an Morrison un artiste d’une trempe peu commune et veut en faire la vedette de son label Bang, sur lequel figurent déjà Neil Diamond et les McCoys. Tout comme Morrison, Berns est un passionné de R & B et possède une longue expérience dans ce domaine. Ancien arrangeur pour Atlantic, il a travaillé avec des gens comme les Drifters, Ben E. King, Solomon Burke, Patti Labelle et écrit de nombreux classiques (par exemple «Twist And Shout »). Morrison se retrouve donc dans un studio de Manhattan.

L’atmosphère des séances passe pour avoir été intense — on raconte qu’après l’enregistrement de «T.B. Sheets », Morrison éclata en sanglots et que l’on dut annuler le reste de la séance. Toutefois, Morrison va connaître son premier succès américain avec « Brown Eyed Girl ». classé numéro dix an septembre 67. Le reste des morceaux (dont les premières versions de « Madame George » et « Beside You ») est réuni sur l’album « Blowin’ Your Mind » qui sort sans que Morrison en soit avisé. (Cet album sera réédité an 73 sous le titre «T.B. Sheets » et en 77 sous le nom de « This Is Where I Came In »). Pour l’instant, Morrison n’est pas content de n’avoir pas été consulté. Berns lui proposa alors d’enregistrer un album entier et lui promet toute la liberté voulue. L’album s’intitule “The Best 0f Van Morrison”. Mais Morrison, jugeant qu’il n’a pas obtenu toute la liberté artistique promise, préférere l’appeler « The Worst of Van Morrison ».

Morrison vit alors à Boston avec sa femme Janet Planet, qu’il a rencontrée lors d’une tournée avec Them. Le 1er décembre 67, Bert Berns meurt d’une crise cardiaque et Morrison se retrouve sans agent. Pour survivre, il fait durant six mois la tournée des clubs de la Côte Est en tant que membre d’un trio de musiciens. Puis Warner lui signe un contrat. En cet été 68, Morrison est en studio à New York et va enregistrer en quarante-huit heures le fameux « Astral Weeks ». Cette fois Morrison peut s’exprimer librement, et l’artiste se libère en effet complètement. Il utilise une instrumentation acoustique (flûte, violon. contrebasse, percussions mais aussi du saxo) et la musique est difficile à définir. Entre le folk et le jazz, un folk-jazzy étrange et unique, aux climats intimes et lancinants que déchire la voix obsédante de Morrison, des thèmes et des textes riches et complexes. Toutefois, ce disque contient les grands classiques comme « Madame George », « Cypress Avenue » ou « Astral Weeks ». L’album est acclamé par les critiques à sa sortie, mais les ventes s’avèrent très modestes. La Warner se console en reconnaissant que c’est un album qui se vendra toujours dans vingt ans. Morrison vit désormais à Woodstock (California), goûte au bonheur conjugal et s’entoure d’amis.

A l’automne 69. il commence à enregistrer les chansons de l’album « Moondance », qui sort en février 70. Bien qu’il n’en soit pas totalement satisfait, l’album est un digne successeur de « Astral Weeks ». Cette fois l’accent est plutôt mis sur les cuivres et les choeurs, et des titres comme « Moondance » et « Into The Mystic » s’affirment comme de nouveaux classiques. « Moondance » est le disque qui va apporter à Morrison, sinon un vaste public. du moins une audience. Le disque suivant, « Van Morrison – His Band And The Streetchoir », sort en novembre. Morrison n’est pas satisfait du mixage et se plaint de n’avoir pas pu tout contrôler. Pourtant, avec le titre « Domino » qui est numéro neuf en décembre, I’irlandais va connaître le plus grand succès commercial de sa carrière solo. Un second titre, « Blue Money », atteindra la vingt-troisième place (mars 71). Morrison vit désormais à Marin County dans une ferme avec sa famille et donne quelques concerts dans les clubs de la région (la Frisco Bay). L’album « Tupelo Honey » sort fin 71 et sonne comme l’illustration de ce bonheur paisible. C’est un peu une suite de chansons d’amour dédiées à sa femme Janet. On trouve parmi les musiciens les noms de Ronnie Montrose et John McFee (guitares) et de Ted Tampleman (orgue). Le feeling est dépouillé, détendu et country. La chanson « Wild Night » se classera à la vingt-huitième place des charts. Toutefois, les choses vont se gâter. Les relations entre Morrison et sa maison de disques deviennent tendues. De même avec les médias, qui auraient propagé la rumeur selon laquelle il ne serait pas très « fiable » scéniquement. Lors d’un concert au Winterland de San Francisco. Morrison chante deux morceaux puis s’en va et décide de ne plus tourner. On le voit pourtant encore ici et là dans les clubs de la Baie. Survient le divorce d’avec Janet, et Morrison se plonge dans le travail. L’album “St Dominic’s Preview” sort en septembre 72. C’est un disque superbe, tendre et poétique, d’un lyrisme fiévreux et dont les pièces maîtresses sont deux chansons d’une dizaine de minutes, « Listen To The Lion » et « Almost Independence Day ». Le titre « Jackie Wilson Said » repris récemment par Dexy’s Midnight Runners, n’apparaît qu’au bas des charts, à la soixante-huitième place.

« Hard Nose The Highway » sort un an après. et c’est encore un très bon disque. La musique est un jazz-pop cool, très californien, et Morrison commence à toucher un plus grand public. C’est à cette époque qu’il part en tournée avec un orchestre de onze musiciens (dont des cuivres et une section de cordes), la Caledonia Soul Orchestra. il produit également l’album solo de Dorothy Morrison, chanteuse soliste des Edwin Hawkins Singers. Puis il vient an Europe avec une formation réduite (le Caledonia Express). Peu de temps avant est sorti le double album live « it’s Too Late To Stop Now » enregistré à Londres et Los Angeles an 73. C’est un superbe panorama de la carrière de l’irlandais qui jongle ici comme d’habitude avec le blues, le folk, le rock et le jazz. A côté de ses classiques « Gloria », « Domino », « Into The Mystic », il interpréte des standards comme « Help Me », « I Just Wanna Make Lova To You » ou encore « Caravan ». Le 20 juillet, Morrison est an Angleterre à l’affiche du festival de Knebworth (au programme également les Doobie Bros et Allman Bros). A la fin de l’année sort l’album « Veedon Fleece », écrit pendant un séjour en Irlande en 73. Puis c’est un silence de trois ans. En fait, un long break nécessaire après une période intense de voyages et de tournées harassantes. A l’époque. Morrison se sent vidé et avoue n’avoir même plus la goût de composer.

Il réapparaît en 77 avec «A Period 0f Transition », disque sur lequel Dr John est aux claviers. Désormais, Morrison partage son temps entre l’irlande (inspiration et composition) et la Californie (enregistrement).

L’album « Wavelength » paraît fin 78. Début 79. Morrison entreprend une longue tournée anglaise qu’il fait pourtant débuter par Belfast où il donne un concert après douze ans d’exil. « Into The Music » paraît à la fin de l’année et Ry Cooder y joue de la guitare. « Common One » en 80, inaugure son arrivée chez Mercury et en 82 sort l’album « Beautiful Vision » (Mark Knopfler joue sur quelques titres). Son dernier disque, « Inarticulate Speech 0f The Heart » est sorti début avril, alors qu’au même moment sa tournée anglaise remporte un succès exceptionnel. Les musiciens qui l’accompagnent sont ceux de l’album. Morrison a aussi composé un titre « Wonderful Remark », pour la B.O. du film de Martin Scorsese « King of Comedy ». A-t-on une chance de revoir prochainement l’irlandais sur une scène française? Ça. c’est une autre histoire...

JEAN-SYLVAIN CABOT

© Rock & Folk N° 197, juin 1983

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